Bilqiss, Saphia Azzeddine

« Vous priez encore Dieu ?
– Bien sûr. Pourquoi ne le ferais-je pas ?
– Eh bien, il me semble qu’Il vous a abandonnée ces derniers temps.
– Allah ne m’a jamais abandonnée, c’est nous qui L’avons semé. »

Bilqiss est l’héroïne de ce roman : c’est une femme indocile dans un pays où il vaut mieux être n’importe quoi d’autre et si possible un volatile. On l’a jugée, on l’a condamnée, on va la lapider. Qui lui lancera la première pierre ? Qui du juge au désir enfoui ou de la reporter américaine aux belles intentions lui ôtera la vie ? Le roman puissant de Saphia Azzeddine est l’histoire d’une femme, frondeuse et libre, qui se réapproprie Allah.

« Le roman puissant » … Je dis oui, oui, oui !! J’ai préféré la nuit blanche au fait de poser ce livre. Je n’ai pas réussi à m’en détacher tant il est magnétique. Vous l’aurez compris, j’ai tout simplement adoré. J’ai aussi eu un gros coup de cœur pour la plume de Saphia Azzeddine. Je vais aller acheter tout ce qu’elle a pu écrire.

Alors, le roman. C’est un roman a trois vois : Bilqiss, la juge et Leandra (la reporter). Tout à tour, on lit les pensées de ces trois personnages ainsi que leurs sentiments, le regard qu’ils portent par rapport à leurs vies.

Bilqiss est une femme instruite éprise de liberté dans un pays où la femme n’a aucun droit, aucun statut. Elle nous narre avec sa voix puissante ce qu’a été sa vie de petite fille puis de femme. Mariée de force à l’âge de treize ans, sa vie est long enfer auprès de son époux. Seuls les moments passés avec son ancienne institutrice lui procuraient de la joie et une échappatoire à cette vie peu enviable. Seulement voilà, l’instruction ouvre les yeux et ses yeux sont grands ouverts. La burqa qu’elle doit porter ne peut brider son envie de liberté. Au moment où débute le roman, elle s’apprête à payer de sa vie son besoin d’épanouir ses ailes et de prendre son envol.

Femme indomptable, elle se moque tour à tour du juge et de ses sentiments, de ses accusateurs et de la journaliste au grand cœur plaine de bons sentiments. Elle les confronte à leurs propres contradictions et les pousse à se remettre en question. Ses argumentations puissantes et ses fronderies sont ponctuées de magnifiques extraits de poèmes comme ceux de Djalal-Ud-Dîn Rûmi.

Hasan, le juge, présente une personnalité plus complexe que je ne l’aurai cru au début. Je m’attendais à voir un barbare sanguinaire à longue barbe. Soit ce n’est pas un enfant de chœur. Il anime les débats qui feront condamner Bilqiss. Cependant, au cours du procès, et de son récit, on en apprend plus sur lui. Ce n’est pas un fanatique religieux. Il a trouvé par la religion un moyen de s’élever socialement et de se mettre à l’abri. C’est aussi un homme qui doit affronter les ténèbres qui se répandent de nouveau à cause de Bilqiss. Il aime sa fronderie, son insoumission et son verbe haut. Il pressent aussi que ce procès pourrait le conduire à sa propre perte.

Leandra, jeune journaliste américaine. Une jap (jewish american princess) comme s’appelle elle-même pleine de bons sentiments voulant sauver Bilqiss de la barbarie. Personnellement, je la trouve insupportable peut-être parce qu’elle me rappelle que le monde peut s’enflammer pour des bonnes causes et bien vite les oublier et passer à autre chose. Elle arrive dans le village remplie de bonnes intentions (je me répète, je sais !) sans pour autant comprendre (je le pense mais après je peux me tromper) les personnes qui y vivent. Ses confrontations avec Bilqiss en sont le témoignage : deux visions du monde, deux systèmes de pensées, deux éducations, etc.

Je ne dévoile pas la fin mais j’avoue que celle-ci m’a surpris. Et j’adooooooore les surprises de ce genre !

Saphia Azzeddine a beaucoup de talent et nous livre un récit fort, puissant… Son style est recherché sans être pompeux ou prétentieux. Surtout, ce que j’ai aimé ce sont les extraits de poèmes et de textes de grands penseurs du monde arabe. Je ne les connaissais pas et j’avoue être tombée sous le charme.

En résumé : coup de cœur !!